Tribune : Autour du franc CFA : souveraineté monétaire ou récupération politicienne ?

Le 3 mai 2025, à l’appel de Kemi Seba, le sémillant chantre du panafricanisme populaire, les Africains sont appelés à descendre dans les rues de grandes villes africaines – dont l’identité pour l’heure est inconnue –, afin de clamer vigoureusement leur opposition au franc CFA et la nécessité, voire l’urgence pour les États africains dans lesquels cette monnaie est encore en usage, de franchir le pas vers la souveraineté monétaire et de rompre définitivement les liens avec cet ultime vestige infamant du néocolonialisme, notamment dans les anciennes colonies françaises d’Afrique.

Appel à réviser la coopération monétaire

Après la réduction substantielle de la présence militaire française en Afrique, le franc CFA demeure le second visage de la présence française sur le continent, mais aussi de l’influence qu’elle conserve dans certaines de ses anciennes colonies d’Afrique subsaharienne francophone.

Depuis plus d’une décennie, de nombreux Africains de ces pays appellent à la révision en profondeur de cette coopération monétaire, voire à son abrogation pure et simple.
Fait notable, ce discours n’est pas seulement porté par l’Africain de la rue ou des réseaux sociaux, ou même des milieux intellectuels. Même des hommes d’État de premier plan, à l’instar de l’ancien président tchadien (défunt), Idriss Deby Itno, n’ont pas fait mystère de leurs réserves sur le franc CFA dans sa structuration actuelle, ce que l’on peut considérer comme une singularité monétaire en Afrique.
Il faut reconnaître, au demeurant, que la France n’a pas esquivé ce débat.
Dans la région Afrique de l’Ouest où a cours une variante du franc CFA dans les anciennes colonies françaises, l’éco est appelé à remplacer le FCFA en 2027.
Mais il n’est pas certain que ce projet de monnaie commune qui devrait regrouper 15 pays africains sera opérationnel à cette échéance.
Toutefois, ce qu’il y a lieu de relever à partir de cette réforme de l’ancien franc des colonies françaises d’Afrique, ce sont les avancées, certes timides, que des années de mobilisation et de protestation ont suscitées en vue de l’abandon de cette monnaie jugée anachronique par ses pourfendeurs.
En marge de ce débat légitime, on ne peut s’empêcher de questionner les motivations, affirmées ou dissimulées, de ceux-là qui sont aujourd’hui les pourfendeurs les plus virulents de cette monnaie.

Pertinence de l’appel de Kemi Seba

Les manifestations du 3 mai, annoncées par Kemi Seba sur sa page Facebook, avec la verve et la force de conviction qu’on lui connaît, sont placées sous la bannière du mouvement qu’il préside, Urgences panafricanistes.

Cette revendication de Kemi Seba sur fond d’appels à la mobilisation des masses africaines n’est pas la première du genre à son actif. C’est d’ailleurs son mantra.
La première observation qu’il y a lieu de faire à ce sujet, c’est la maladresse que commettent certains pourfendeurs du FCFA lorsqu’ils mêlent souveraineté monétaire et idéologie.

Ce couple a rarement fait bon ménage dans l’histoire monétaire des États.
On ne crée pas une monnaie sur un caprice idéologique ou politicien et on ne l’administre pas comme on le ferait d’une épicerie pour générer la prospérité des peuples.

En Afrique, seuls 15 pays ont pour monnaie le franc CFA.
Mais est-ce que, pour autant, les États qui disposent d’une souveraineté monétaire sont plus prospères que les États de la zone “franc” ?

L’indice de développement humain est-il plus élevé dans les États africains qui disposent de leur propre monnaie ? Les faits répondent d’eux-mêmes. Il faut bien se demander quel objectif veulent atteindre ceux qui associent des foules hystériques à la subtilité et à la complexité des débats sur les questions monétaires. Il ne fait guère de doute qu’on est là en plein délire démagogique et idéologique.

Dans son appel à manifester sur sa page Facebook, Kemi Seba cite les pays de la nouvelle Alliance des États du Sahel (AES) comme les seuls de la zone “franc” qui sont engagés sur la voie de l’accession à la souveraineté monétaire.

Mais ce qu’omet de dire ce prédicateur d’un panafricanisme nébuleux, c’est le maintien par les nouveaux hommes forts de l’AES des économies de leurs pays dans l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) et dans la zone “franc”, en dépit de leur retrait annoncé de la CEDEAO qui, jusqu’à présent, par ailleurs, est plus symbolique, voire cosmétique qu’effectif.

On peut comprendre leur prudence, voire leur réticence à claquer la porte de l’UEMOA et de la zone “franc” comme on quitterait, courroucé, une réunion déplaisante. Ils ont conscience qu’on n’improvise pas la refondation d’un État, encore moins la création d’une monnaie qui est l’un des premiers attributs de sa souveraineté.

Il ne suffit pas d’un discours pour créer une monnaie si celle-ci n’est pas adossée à une vision claire et de long terme, à un appareil de production solide et à une gouvernance vertueuse.

Il suffit pour s’en convaincre de prendre l’exemple du Zaïre de Mobutu Sese Seko. Il a voulu traduire dans la réalité son discours politique démagogique sur « l’authenticité » par la création d’une monnaie nationale, le zaïre.

Sa piteuse fin de règne a offert au monde le spectacle affligeant de l’effondrement de ce château de cartes en même temps que l’effondrement de son pouvoir, en dépit des immenses richesses de son pays.

En somme, il ne s’agit pas de délégitimer un mouvement de contestation populaire du franc CFA, mais de dire la méfiance et les réserves qu’inspire un tel mouvement lorsqu’il est orchestré par le conseiller d’un État de l’AES qui, dans un passé récent, a notoirement reçu ses ordres de Moscou.

Éric Topona Mocnga, journaliste à la rédaction Afrique francophone de la Deutsche Welle (média international allemand), à Bonn

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